Comment le mélanome uvéal engendre ses métastases
- ANPACO
- 2 nov.
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Dernière mise à jour : 10 nov.
Présentation lors de l’Assemblée générale de l’ANPACO du 25 octobre 2025 par le Pr Franck BACIN.
Le mélanome uvéal est une tumeur rare qui se développe à partir des mélanocytes de l’uvée. 20 à 50 % des patients développent des métastases, principalement dans le foie. La survie médiane des patients avec métastases est au-delà de deux ans, seulement quand les patients peuvent bénéficier d’une chirurgie complète. Le tebentafusp, médicament de l’immunothérapie qui prolonge l’espérance de survie n’est utilisable que chez les patients du groupe HLA-A*02 :01. Une connaissance plus étendue de la constitution des métastases a permis de mieux appréhender le processus et promet de sérieux espoirs pour l’avenir.
Dans l’ouvrage « Tumeurs intraoculaires » rédigé en français sous la direction du Pr. Léonidas Zographos, paru en 2002, et qui a fait longtemps référence, seules quelques pages sont consacrées au processus métastatique et indiquent qu’il est « mal connu ».
Néanmoins il signale les altérations génétiques qui mettent en marche le processus, le rôle des molécules d’adhésion et des protéinases qui décomposent le cytosquelette et l’angiogenèse qui permet la survie des métastases et leurs diffusions.
Pour bien comprendre le processus métastatique, il faut se rappeler de la nature et du rôle de la choroïde qui est le tissu oculaire où le mélanome est le plus fréquent.
La choroïde est située entre la rétine et la sclére. Elle est riche en vaisseaux de différentes tailles. C’est la « chambre noire » de l’œil quand on le compare à un appareil de photos, en raison de la présence de nombreux mélanocytes chargés de mélanine. La choroïde a une fonction nutritionnelle pour la rétine et également une fonction immunocompétente : elle est capable de reconnaitre et de traiter des agents pathogènes.
Il faut également rappeler les fonctions génétiques normales.
Les chromosomes siègent dans le noyau cellulaire. Ils sont porteurs de la double hélice d’acide désoxy nucléique (ADN) qui est le vecteur de l’information génétique. Le gène est un segment d’ADN qui permet la fabrication d’une molécule particulière. Le code génétique est un manuel d’instruction universel qui associe chaque codon (3 bases nucléiques) à un acide aminé.
L’ADN peut être le siège de mutations. Ces mutations peuvent être ponctuelles : ceux sont des modifications de la séquence d’ADN. Elles peuvent être chromosomiques : perte ou gain de chromosome : trisomie, monosomie. Ces mutations peuvent être dues à des facteurs déclenchants tels que les ultraviolets, les irradiations, le tabac. Elles peuvent apparaitre tout au long de la vie sur l’ADN de n’importe quelle cellule. Elles sont transmises aux cellules filles qui peuvent devenir des cellules tumorales pour former un cancer.
Dans le mélanome uvéal, les mutations sont nombreuses. Elles peuvent être cytogénétiques, c’est-à-dire situées au niveau des chromosomes. Ainsi on peut constater des mutations comme des gains du 8q, une monosomie du 3 ou une perte du 1p qui sont de mauvais pronostic, ou bien un gain du 6p ou une disomie du 3 qui ont un rôle de protection.
Elles peuvent être des mutations de génétique moléculaire entrainant des anomalies de l’expression du gène comme BAP1 ou PTP4A3. Elles peuvent être épigénétiques avec un changement dans l’activité du gène comme les diverses mutations MIR. En génétique moléculaire comme en épigénétique il peut exister des mutations avec un rôle de protection.
Il faut également rappeler le rôle de la matrice extracellulaire qui est une entité complémentaire au tissu conjonctif, définie vers les années 2000. Elle correspond au compartiment extracellulaire des tissus. Elle est composée d’une substance fondamentale qui sont des milieux liquides où baignent les cellules : liquide extracellulaire, polymères de glucides qui absorbent l’eau, glycoprotéines d’adhérences. Elle contient également des fibres : collagène formant des fibrilles et des fibres résistantes à la traction. L’élastine est une protéine supportant des étirements très importants. Ces fibres confèrent à l’ensemble résistance et élasticité.
Les fonctions normales de la matrice extracellulaire sont la résistance à l’étirement : élasticité, support, soutien et jonction entre les organes. Transport des gaz, des nutriments, des hormones. Filtration au niveau des membranes basales. Adhésion, migration cellulaire.
La matrice extracellulaire va être le lieu où les différents stades de la formation des métastases vont se dérouler.
Comment se forment les métastases des mélanomes uvéaux ?
On va assister à des altérations génétiques, puis une dissémination tumorale et enfin la création de métastases.
Le microenvironnement du mélanome uvéal.
La croissance du mélanome va se faire par la multiplication des cellules tumorales autour d’une angiogenèse centrale. La petite tumeur va sécréter des LAG3 et de la Galactine 3 dont la fonction est d’empêcher l’action défensive des globules blancs et d’empêcher par ce biais la mort des cellules tumorales.
La tumeur va également sécréter des vésicules extra tumorales qui assurent la promotion de la prolifération, de la migration et de l’invasion des cellules tumorales.
Tout se passe comme s’il y avait une promotion des cellules tumorales et une destruction des défenses naturelles.
Le remodelage de la matrice extracellulaire.
1) Modification de la matrice extracellulaire.
Des facteurs sécrétés par la tumeur induisent une activation des fibroblastes qui se transforment en myofibroblastes qui modifient la matrice extracellulaire. Autour de la tumeur va se construire une sorte de coque de « collagène frisé ».
2) Réorganisation de la matrice extracellulaire.
Apparition d’inactivations réciproques. Rigidité du tissu de la coque. Dysfonctionnement des ions sodium et potassium. Eloignement des cellules immunocompétentes.
3) Remodelage pour la migration des cellules tumorales
Les cellules tumorales ne peuvent pas migrer car elles sont barrées par une membrane basale. Celle-ci peut être rompue soit par des enzymes protéolytiques issues de la tumeur soit « en force » par traction. La migration des cellules tumorales devient possible.
4) Dégradation de la matrice extracellulaire.
Recrutement de cellules de la moelle osseuse grâce à des facteurs sécrétés par la tumeur. Sécrétion de protéases pour un remodelage des tissus par les cellules recrutées. Sécrétion de matri quines favorisant la dissémination des métastases. Libération de facteurs de croissance en particulier du VEGF qui permet la croissance des vaisseaux. Il y a angiogenèse et reproduction de vaisseaux. Maintenant la tumeur pourra se développer sans limites.
Les étapes qui conduisent à la métastase.
A partir du site de la tumeur première vont se produire :
1) L’invasion du tissu de voisinage
2) La pénétration dans les vaisseaux ou intravasation
3) La circulation des cellules tumorales dans le sang
4) L’extravasation : les cellules tumorales quittent les vaisseaux
5) Constitution d’une niche pré-métastatique
6) Micro métastase
7) Colonisation du site métastatique
La niche pré-métastatique.
Le plus souvent elle va se constituer au niveau du foie. C’est un micro environnement favorable à la croissance des cellules tumorales à venir. On assiste à un remodelage de la matrice extra cellulaire en faveur des cellules tumorales. La niche accueille des cellules tumorales dormantes. Cette « dormance » est de durée très variable. Tout est prêt pour la constitution des métastases.
Pourquoi les métastases se situent dans le foie ? (89 à 95 %)
Il semble que la pression sanguine dans le foie soit moins forte que dans le reste du corps, ce qui favoriserait la pénétration dans l’organe. Les cellules stellaires du foie forment avec les cellules tumorales un échafaudage pour que la métastase puisse grossir. Ces cellules stellaires concourent à la construction des niches pré-métastatiques.
Des cellules qui sont passées à l’ennemie.
Sur toutes les étapes qui conduisent à la formation des métastases on constate la présence de cellules du système immunitaire qui ne remplissent plus leur rôle de protection face aux cellules cancéreuses : des macrophages issus de la moelle osseuse, des granulocytes chargés de la phagocytose, des monocytes qui modulent l’inflammation, des MDSC (cellules suppressives dérivées de la moelle) très actives. Toutes ces cellules paraissent impuissantes, voir collaboratrices. Elles ont été « endormies » par des sécrétions des cellules cancéreuses.
L’immunothérapie est le traitement du cancer qui agit sur le système immunitaire du patient pour lutter contre sa maladie. L’immunothérapie rétablie une défense immunitaire active : les lymphocytes pénètrent la tumeur et détruisent les cellules tumorales.
Le Tabentafusp* est un immunomodulateur efficace chez les patients du groupe de globules blancs HLA-A* 02 : 0I. Il est composé de deux protéines fusionnées. L’une reconnait l’antigène GP100 présent à la surface des cellules cancéreuses. L’autre reconnait un récepteur de haute affinité pour les lymphocytes T. Ceux-ci vont libérer des médiateurs cytolytiques contre les cellules cancéreuses.
Un autre progrès très intéressant dans la prise en charge du mélanome de l’uvée est le recours à la biopsie liquide pour son diagnostic, pour le choix des options thérapeutiques et leur gestion.
La biopsie liquide est une simple prise de sang qui remplace des examens douloureux ou désagréables comme les biopsies, les ponctions, voire un acte chirurgical. Elle permet une évaluation précise du cancer. Elle peut être répétée. Elle fournit une « photographie » de la tumeur à un moment précis et elle permet d’adapter le traitement aux résultats.
Pour le mélanome uvéal elle permet de connaitre les mutations selon que la tumeur est de petite taille, ou plus développée, ses capacités de dissémination ainsi que les mutations dans les métastases hépatiques. Pour cela, dans la prise de sang on va chercher des cellules tumorales circulantes, de l’ADN tumoral circulant, de l’ARN circulant, et des vésicules circulantes (micro ARN). La biopsie liquide permet également de dépister une récidive métastatique.
Conclusion : en 23 ans nos connaissances sur les métastases des mélanomes uvéaux ont beaucoup évolué. Nous commençons à bénéficier d’examens et de traitements efficaces pour certains patients. D’autres progrès semblent proches.
Professeur Franck BACIN


Merci, pour la démonstration de ces progrès, mais le dépistage reste le moyen le plus sûr de maîtriser la maladie, or les pouvoir publics, par soucis d’économie certainement, ne considère pas ce dépistage comme une priorité…