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GROS FOIE ŒIL DE VERRE, UN ADAGE PERENNE

Conférence du mardi 17 Octobre 2023,

Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Lyon

Jean-Daniel Grange



Madame la Présidente, je vous remercie d’avoir accepté cet exposé, au titre explicite. Mesdames et Messieurs les membres de l’Académie, Mesdames et Messieurs, je souhaite parler du mélanome oculaire, générateur dans près d’un cas sur deux d’une dissémination au foie et aujourd’hui encore parfois traité par ablation de l’œil.


Je veux rendre hommage à Madame le Professeur Mireille Bonnet qui a contribué à la création de notre centre d’Oncologie oculaire à l’Hôpital de la Croix-Rousse dès 1984.


La motivation de ma présence est l’appel téléphonique la veille de Noel 2022, d’un ami d’enfance m’informant de l’ablation récente d’un œil, du fait de la présence d’une tumeur oculaire de 17 mm d’épaisseur.


L’HISTOIRE


L’HISTOIRE commence au début du dix-neuvième siècle par l’invitation faite à James Wardrop, jeune ophtalmologiste d’Edinburg (Fig.1), par son contemporain, Allan Burns, chirurgien anatomiste (Fig.2), pour l’aider à pratiquer l’ablation de l’œil d’une patiente de 40 ans, porteuse d’un perforation oculaire par une tumeur noirâtre. Wardrop en fera la description dans son traité de 1809, mais c’est Allan Burns qui reliera l’atteinte oculaire à la maladie du foie, la patiente étant décédée peu après. 20 ans plus tôt, Joshua Reynolds, célèbre portraitiste anglais décédait aveugle d’un œil, par hépatopathie sans diagnostic.


(Fig. 1) James WARDRUP (1782-1869) (Fig. 2) Allan BURNS (1781-1813)


L’ophtalmoscope monoculaire, inventé en Allemagne en 1851 par Von Helmholtz puis binoculaire dix ans plus tard en France par Giraud-Teulon, a été modifié aux USA par Schaepens, sous la forme d’un casque permettant l’ophtalmoscopie indirecte, mais c’est la fixation photographique des images par le rétinographe de Zeiss, avec flash électronique, qui en 1960 a révolutionné l’iconographie.


En 1910 est inventée la lampe « à fente mobilisable » ou bio-microscope oculaire, perfectionnée en Suisse allemande (Haag- Streit) puis à Lyon, en 1965 (Gambs). Elle est restée longtemps réservée à l’observation de l’ensemble conjonctive, cornée, iris et cristallin. Aujourd’hui associée au rétinographe, elle devient même portable.


En 1960, Goldmann à Berne invente le verre à 3 miroirs, positionnable sur la cornée, permettant d’appliquer la fente lumineuse sur la chorio-rétine jusqu’à sa périphérie. Son utilisation co- existe avec la lentille quadra sphérique qui se pose également sur la cornée, que l’on n’a pas à faire tourner mais qui ne permet pas de voir le corps ciliaire.




LES MELANOCYTES


TOUT COMMENCE à la 4-ème semaine de vie embryonnaire lorsque le système nerveux central se met en place sous forme de la plaque puis de la crête neurale. Des cellules multipotentes, précurseurs de différents tissus migrent à partir d’elle, en se repoussant les unes les autres par inhibition de contact, les mélanoblastes devenant des mélanocytes, cutanés et oculaires, aux profils d’expression génique différents.


Les mélanocytes oculaires peuvent se transformer en un mélanome, alors qu’ils sont

photo protecteurs par l’absorption de la lumière visible et des UV, régulateurs des dommages dus au stress oxydatif, des réponses immunitaires, de l’angiogenèse et de l’inflammation.

Les mélanines y sont constamment synthétisées et stockées dans leurs organites sous forme de mélanosomes : mélanges d’Eumélanine foncée, fortement empaquetée et de Phéomélanine claire, au contraire faiblement agrégée.


La génétique régule ce rapport : par exemple, la réduction de transcription du gène OCA2 (régulée par HERC2) entraine l’accumulation de la tyrosine avec incorporation de cystéine, et rend la synthèse d’Eumélanine défectueuse, privilégiant celle de la Phéomélanine, celle des sujets à peau claire, fragile, qui s’ionise facilement sous l’effet des UV et libère des radicaux libres cancérigènes. L’Eumélanine des sujets pigmentés, à fort potentiel d’ionisation, est au contraire plus efficace dans le rôle de protection de l’ADN vis-à-vis des UV. Le rapport des deux caractérise notre phénotype irien et cutané.




LE MELANOME UVEAL OCULAIRE


LE MELANOME OCULAIRE se localise sur les 3 structures de l’uvée oculaire, un ensemble anatomique à embryologie commune, en continuité anatomique, très vascularisé et riche en mélanocytes, que sont l’iris, le corps ciliaire et la choroïde. Alors que le mélanome irien ne représente que 4% de l’ensemble et est le plus souvent bénin, le mélanome choroïdien est tout l’opposé…Le plus fréquent (90%), et gravissime. Tout comme le mélanome du corps ciliaire, (6%). (1)


La choroïde, d’épaisseur 0.8 mm, est située entre la rétine neurale et la tunique dure de l’œil. Elle fournit de l’oxygène et des nutriments aux cônes et bâtonnets.


C’est une véritable éponge vasculaire qui reçoit 40 fois plus de sang que la rétine. Les gros troncs d’origine pénètrent la sclère, en arrière du globe en deux groupes. L’angiographie au montre que la choroïde s’imprègne 1 à 4 secondes avant la rétine.

A la suite de capillaires qui sont les plus spacieux du corps, il existe d’énormes golfes appelés vortiqueux pour l’évacuation du sang veineux, malheureusement adéquats pour évacuer les cellules tumorales vers la circulation générale.

Le mélanome ciliaire pur ou encore cilio choroïdien est rare (6%) mais également gravissime. Il atteint une structure qui a la forme d’un anneau saillant doté d’un épithélium dont seule la couche externe est pigmentée, et ne se renouvelant plus après 2 années de vie, comme celui de la rétine.


L’iris comporte une couche antérieure exposée à l’humeur aqueuse comportant des cellules pigmentées et des mélanocytes. C’est de l’intensité de sa pigmentation que dépends sa couleur définitive. Le mélanome irien est plus fréquent sur les iris claires.

Le mélanome non uvéal oculaire a une seule localisation, la conjonctive et il est rarissime (1%), mais gravissime. Les culs de sac réalisent une véritable cavité. Ici, la même patiente de face, sans éversion de la paupière inférieure, porteuse d’une lésion pigmentée apparemment discrète, et après éversion. Le taux de métastases est élevé : 65% à 15 ans.




LES FACTEURS DE RISQUE CONSTITUTIONNELS


REGARDONS MAINTENANT L’IRIS de 5.591 participants volontaires, indemnes de mélanome uvéal observés à Rotterdam, durant 16 ans : leur classification des couleurs d’iris s’est simplifiée en 3 catégories : marron-brun, vert-noisette, et gris-bleu, et le phénotype gris-bleu y prédomine nettement (70%)


En reprenant cette répartition, nos collègues de Leiden ont plaqué leur cohorte de 412 sujets, à coloration irienne préalablement notée, et énucléés pour mélanome, et constaté que 65 % portent un iris gris-bleu, à Leiden (Pays-Bas), et 75 % à Essen ( 475 patients traités par radiothérapie et énucléation en Allemagne) , avec couleur irienne également connue préalablement). Un risque statistiquement significatif + élevé de survenue d’un mélanome uvéal, en cas d’iris gris-bleu est désormais admis. (2)


Autres facteurs de risque significatifs, l’âge, (entre 50 et 70 ans), la présence de nævi cutanés ou iriens, une tendance aux coups de soleil, les taches de rousseur, et la mutation germinale du gène BAP1, suppresseur de tumeur. La couleur des cheveux n’en n’est pas un.




LES FACTEURS DE RISQUE ENVIRONNEMENTAUX


A noter le rôle défavorable de la pratique de la soudure et l’association lampe à bronzer sur iris clair, émettant des rayons UVB à une intensité multipliée par 10 et par 2 à 14 pour les UVA. Les activités de loisir en plein air se situent à mi-chemin. Enfin l’exposition solaire professionnelle, cumulée au cours de la vie (différence avec le mélanome cutané), et le mode d’habitat urbain ou rural ne sont pas retenus.


Pour ce qui concerne le rôle de la lumière sur choroïde et corps ciliaire, la cornée absorbe les UVC en totalité et 90% des UVB. Ensuite, le cristallin, les 10% résiduels des UVB et les UVA, aidé par le corps vitré et enfin l’épithélium pigmentaire rétinien. Ainsi seule la lumière visible pénètre dans la cavité oculaire, en particulier la lumière bleue violet, au rôle inducteur mal décrypté, filtrée à 40%. par les verres anti-bleu


Le mélanome irien prédomine sur l’iris inférieur, ce qui confirme par contre le rôle pathogène de la lumière, la partie supérieure étant cachée par la paupière supérieure. L’iris reçoit 10% des UV B, mais les UV A et la lumière visible en totalité, absorbés par son épithélium pigmenté et ses mélanocytes.

Le mélanome conjonctival, se développe dans 60% des cas, sur des lésions de mélanose acquise, à différencier de l’ethnique, et des études récentes ont montré un doublement de l’incidence en 30 ans : 0,54 à 0,80 nouveaux cas /million d’habitants /an.




L’EPIDEMIOLOGIE


NOUS AVIONS PARTICIPE AU RECENSEMENT des mélanomes uvéaux oculaires de l’année 1992 en France, montrant une incidence de 7 nouveaux cas / million d’habitants/an, le classant en tumeur rare. La répartition s’est avérée identique entre le Nord et le Sud, ainsi qu’entre l’Est et L’ouest français.

A cette époque, les chiffres étaient plus élevés dans les pays du Nord et de l’Est où le phototype clair est majoritaire, avec une incidence double au Danemark : près de 15 nouveaux cas/million d’habitants et par an. Avec des chiffres plus élevés en RDA qu’en RFA.


Le Registre européen des cancers a confirmé peu après sur une période de dix ans, une augmentation de 1,4 à chaque addition de 10 degrés de latitude en sens Sud Nord. L’Irlande est le pays le plus atteint, suivie par Norvège et Danemark, la maladie restant exceptionnelle en Asie. Par contre, les chiffres en australiens Nouvelle-Zélande sont multipliés par 3.


L’incidence du mélanome oculaire dans la race noire est très faible, moins de 0,5% à plus de 1% dans de grandes séries américaines. A Lyon, sur un total de 1000 cas traités, nous n’avons diagnostiqué qu’un seul cas de volumineux mélanome chez un jeune camerounais fraichement arrivé.

En 2018, une étude de l’Institut National américain du Cancer, d’abord sur 2.493 cas observés dans la population blanche de 1973 à 1993, puis sur près de 5000 cas recensés sur 40 années, de 1973 à 2013 a montré une incidence plus faible que celle de l’étude française : 5,1 nouveaux cas par million d’habitants et par an, et surtout sa stabilité sur 40 ans.


Quelques mots d’épidémiologie comparative Mélanome cutané et oculaire : le mélanome oculaire représente 3% de tous les mélanomes. Le mélanome cutané est 25 fois plus fréquent en Europe, 100 fois plus fréquent dans le Queensland australien.

Le mélanome cutané, surdiagnostiqué aux Pays-Bas grâce à un dépistage de plus en plus précoce a vu son incidence annuelle augmenter mais heureusement, en même temps sa survie à 10 ans. Ici l’exemple comparatif de la survie entre 1989 et 1993, puis 15 ans plus tard.




EN CLINIQUE


COMME LA REPRESENTATION CEREBRALE OCCIPITALE MACULAIRE petite ellipse centrale de la rétine, responsable de la vision diurne, de la perception des contrastes et des couleurs, y est majeure, un mélanome choroïdien même de petite taille, rétro ou péri maculaire, entrainera des symptômes précoces.

Alors qu’une tumeur volumineuse (Fig.3) mais périphérique peut entrainer des symptômes parfois très tardifs, atténués avec l’âge). Il est admis que 30% des mélanomes uvéaux sont asymptomatiques.


Fig. 3 Volumineux mélanome choroïdien périphérique


L’obsession de tout ophtalmologiste doit être un examen attentif du FO de tous les patients qui soit n’en n’ont jamais eu, soit déjà, avec toujours l’idée de contrôler la périphérie du fond d’œil jusqu’au corps ciliaire ; nous avons pour cela à notre disposition le verre à 3 miroirs…


Aujourd’hui les ophtalmologistes utilisent plus souvent des lentilles grand champ, sans contact avec la cornée, avec la lampe à fente, mais attention la rétine pré équatoriale n’est pas parfaitement examinée et le droit a déjà sanctionné le non-recours au verre à 3 miroirs.


Nous surveillons régulièrement en échographie les petites lésions mélanocytiques dites indéterminées, d’épaisseur située entre 1 et 2 mm, car on sait leur malignisation (épaisseur supérieure à 2 mm) possible. 9 % à 5 ans …




LE PRONOSTIC


LE MELANOME OCULAIRE EST UNE MALADIE BEAUCOUP PLUS GRAVE que le mélanome cutané, au mode de dissémination essentiellement lymphatique et dont la survie à 5 ans est élevée :92%.


La dissémination métastatique du mélanome uvéal survient au contraire par voie hématogène, chez 50% des patients sur 15 ans et est hépatique dans 90% des cas. Il peut s’agir de volumineuse lésions, ou de formes miliaires (Fig. 4), à foyers multiples. La médiane de survie est alors de 2 ans.


Fig. 4 Métastase hépatique à forme miliaire


Le risque potentiellement systémique, nécessite un bilan répété, par IRM hépatique trimestrielle et parfois corps entier par Pet Scan. Nous avons appris la pathologie hépatique non métastatique. Le foie pouvant porter des affections bénignes, telles qu’angiomes, hyperplasie, inclusions graisseuses, mais aussi parfois malignes, cirrhose, carcinomes…


Il nous faut traquer les facteurs pronostiques. 3 VISIBLES au simple examen, sont défavorables : la localisation pré équatoriale à proximité des golfes vortiqueux, le diamètre supérieur à 10 mm et la pigmentation moyenne ou noirâtre, elle–même fonction de la pigmentation irienne.


3 sont INVISIBLES : le premier, accessible seulement à l’histo pathologiste : plus les cellules tumorales sont arrondies avec un noyau volumineux, plus elles sont vectrices de malignité, mobiles et migrantes vers le foie, à la différence des cellules plus compactes et aplaties, proches de celles du naevus bénin.

Le second facteur pronostique invisible a été la découverte de l’existence de deux classes, en fonction de la perte ou non d’un allèle du chromosome 3 dans les cellules tumorales. Des gains sur le chromosome 8 sont également péjoratifs. La perte s’appelle monosomie et engage le pronostic vital, diamètre supérieur à 10 mm, contingent épithélioide, et iris clairs lui étant statistiquement et péjorativement associés. (3) (4).


Le troisième facteur invisible, grâce aux techniques de biologie moléculaire, est la détection désormais possible des mutations géniques sur GNAq ET GNA11, voie GN Alpha des récepteurs des protéines hétérotrimériques, ( responsables de la mort cellulaire programmée et de la prolifération cellulaire) initiatricesde l’oncogenèse, puis de gènes plus complexes ( SF3B1 et EIF1AX) traduisant la progression tumorale, et surtout celle du gène BAP1 situé sur le chromosome 3, qui perd sa fonction de suppresseur de tumeur. Aujourd’hui ce sont surtout les variations chromosomiques qui servent à l’édification d’une véritable stratification pronostique. Sur ce schéma, le disque périphérique indique le risque métastatique en fonction des anomalies et de leurs associations : 63% à 2 ans si anomalies sur 3 et 8, 15% seulement si anomalies soit sur l’un soit sur l’autre. (3)(4)(9)


Ici sont représentées les dernières 20 années de l’évolution technologique utilisée pour le profilage moléculaire. Le séquençage de nouvelle génération (NGS) depuis 2016 permet de détecter altérations chromosomiques telles que l’isodisomie, et géniques telles que la perte focale de BAP1, gène suppresseur de tumeur. (9)


Nous prélevons systématiquement des échantillons tumoraux par biopsie à l’aiguille fine, ou par aspirateur. Les calibres des aiguilles se sont réduits jusqu’à 1/3 de mm. L’abord se fait à travers la sclère en regard de la tumeur ou du côté opposé, selon qu’elle excède ou non 4 mm en épaisseur. 50 ng d’ADN tumoral suffisent.




L’ENUCLEATION PRIMAIRE


AVANT 1984 tous les mélanomes uvéaux faisaient l’objet d’une énucléation (Fig. 5). Dans plus de 9 cas sur 10, en 1973 contre ¼ en 2013. Celle-ci conserve un intérêt pronostique majeur car on peut estimer les proportions des contingents cellulaires. Tout le contraire de la radio thérapie qui est passée de plus de 1% en 1973 à 2/3 en 2013.


Seules les grosses tumeurs de diamètre > 16 mm et d’épaisseur > 12 mm font l’objet d’une énucléation d’emblée appelée primaire. La technique a progressé avec le recours systématique au microscope opératoire et les matériaux sur lequel les 4 muscles oculaires droits conservés, sont suturés. Aujourd'hui des billes de silicone recouvertes d’un treillis de Vicryl.



Fig. 5 Enucléation Fig. 6 Mise en place de la prothèse


Une grande variété de matériaux prothétiques (Fig. 6) a précédé la résine. Leurs formes calquent le volume orbitaire laissé libre, l'objectif étant de garantir le confort et un résultat esthétique optimal.


Chez l’oculariste lyonnais Cambrillat, on peut voir des prothèses provisoires et une définitive en verre soufflé, abandonné depuis 1950 et à côté en résine. En dessous figure la peinture par en arrière du bloc cornée iris, en copiant la couleur de l’œil adelphe, travail d’orfèvre, qui sera clippé après meulage.




LA RADIOTHERAPIE


GRACE A ELLE ON PARVIENT A CONSERVER LE GLOBE dans 85% des cas. A Londres, Stallard, a été le précurseur de la curiethérapie en utilisant des applicateurs radioactifs de Cobalt 60, au spectre de désintégration très lent. Les plaques avaient des tailles et des formes différentes, dépassant le plus grand diamètre basal de la tumeur de 2 mm.


Il a malheureusement aussi été le premier à décrire des effets radiques négatifs, à distance de la tumeur, appelés rétinopathie des radiations, du fait de la profondeur du faisceau. De plus une irradiation à travers les applicateurs, a été observée, dangereuse pour le chirurgien et le personnel soignant.

En 1984, J’ai obtenu un visa de 36 heures pour réaliser un film avec Lommatzsch à Leipzig.

Cet universitaire allemand a eu l’idée d’utiliser un radioélément beta, le Ruthénium 106 au spectre de désintégration beaucoup plus rapide et sans danger en arrière de l’applicateur (Fig. 7).


Fig. 7 Applicateur de Ruthénium 106 suturé à la paroi oculaire (sclérotique)


Des doses très fortes (allant de 60 à 100 Grays) délivrées à la base tumorale expliquaient les fortes cicatrices atrophiques péri tumorales, diminuant les effets radiques latéraux. Vous voyez à G une image de tumeur suivie 24 ans avec une intégrité maculaire et une vision centrale conservée.


L’utilisation peropératoire de la transillumination tumorale est obligatoire pour attacher temporairement à la sclérotique la plaque qui sera retirée après 3-7 jours. Le temps et la quantité d’énergie délivrée sont calculés en fonction de la taille de la tumeur.


Cependant, comme la décroissance du spectre de désintégration du radioélément était très rapide, nous ne pouvions traiter que des tumeurs dont l’épaisseur ne dépassait pas 6 mm sous peine de récidive. (5)


Aux Etats Unis, Packer a développé des applicateurs gamma de basse énergie, comportant des grains d’Iode 125 disposés dans un insert en silicone, protégés par une enveloppe en or, relativement couteux, mais permettant de traiter des tumeurs d’épaisseur allant jusqu’à 10 mm.


Développée à Boston au début des années 1980, la protonthérapie s’est imposée pour fournir une dose homogène et égale à toutes les parties de la tumeur. En 1991, deux cyclotrons permettant cette irradiation externe, ont vu le jour en France, à Orsay et à Nice, peu après Boston, Uppsala puis Clatterbridge et Villingen.


Le proton appartient au noyau de l’atome d’Hydrogène et le Cyclotron permet l’accélération des ions hydrogène, placés dans 2 champs, magnétique constant puis électrique alternatif.


Le faisceau Protons est caractérisé par le pic de Bragg qui délivre une dose maximale sur les derniers millimètres du parcours avant sa chute brutale. Cependant il est étroit et Il faut l’étaler à partir de plusieurs pics de Bragg d’énergies différentes, additionnés, pour obtenir une distribution de dose plate, homogène, adaptée à la tumeur. Ceci est impossible avec photons ou électrons.


La mise en place de repères de Tantalium (Fig. 8) sur la paroi du globe, en regard de la tumeur, et la réalisation d’un certain nombre de mesures transmises au radio thérapeute pour le planning de protonthérapie, précèdent la mutation du patient à Nice. Une dose homogène de 60 Gy est délivrée à la tumeur, au contraire des doses hétérogènes en curiethérapie.


Fig. 8 Anneaux de Tantalium fixés à la sclérotique pour repérage tumoral avant protonthérapie


Pendant les séances d’irradiation, la tête doit être soigneusement immobilisée par une empreinte dentaire et un masque facial. Une petite caméra contrôle la fixation d’un repère lumineux par le patient. Le fauteuil immobilise la colonne vertébrale.


De la radiothérapie nous attendons d’abord le contrôle tumoral (au minimum l’arrêt de sa croissance) puis l’absence de récidive locale réduite par les marges de sécurité, surtout la survie du patient, enfin la minoration des complications sur les tissus avoisinants par le fractionnement des doses : atteintes maculaire, vasculaire et du nerf optique, dans près de 50% des cas. (6)




D’AUTRES CHIRURGIES


L’EXORESECTION TRANSSCLERALE est une ablation en bloc avec plancher scléral. Une anesthésie hypotensive et un contrôle des hémorragies per-opératoires sont nécessaires. Les patients doivent être porteurs de tumeurs en battant de cloche (8 à 10 mm d’épaisseur, mais avec un diamètre basal < 15 mm).


La littérature a montré que les risques de récidive sont plus fréquents qu’avec la radiothérapie, et que les énucléations secondaires confirment bien la transformation cellulaire au sein de la récidive, vers un type plus épithélioide que sur la première pièce d’excision.


L’endo résection, qui aborde la tumeur par son apex, a montré des taux de survie comparables à ceux observés en curiethérapie, surtout si une radiothérapie adjuvante est effectuée. L’amélioration de la technologie en chirurgie du vitré et en fibres endo laser permettent, d’obtenir de meilleurs résultats.


Enfin, l’énucléation secondaire peut être justifiée si la traversée sclérale est suspectée en échographie, après la radiothérapie. De même au final, l’exentération, ultime opération survie, décidée en cas d’envahissement orbitaire, secondairement à une radiothérapie en échec, nécessite parfois le sacrifice des paupières et de la conjonctive.




LE TRAITEMENT DE LA MALADIE METASTATIQUE HEPATIQUE


LA MALADIE METASTATIQUE détectée chez moins de 1% des patients lors du diagnostic du mélanome oculaire, le sera parfois très tard, mais chez 45% des patients. Il n’existe pas encore de traitement préventif efficace, et une fois la métastase diagnostiquée, période rouge, les différents résultats de chimiothérapies combinées, ou associées à l’Interféron alfa-2b, pourtant efficace in vitro n’ont pas été confirmés.

Les thérapies dirigées vers le foie, chimiothérapie intra-artérielle, chimio embolisation trans artérielle et perfusion isolée ont montré des résultats encourageants. De même pour des excisions laparoscopiques avec échographie, radiofréquence, ou radio embolisation (à l’aide de microsphères d’yttrium-90) et thermothérapie hépatique. Les survies remarquables sont de fait uniquement celles après ablation d’une métastase unique.

La voie de l’immuno- thérapie est désormais tracée par le traitement du mélanome cutané métastatique avec l’utilisation d’anticorps monoclonaux qui en freinant le système immunitaire, rétablissent l’action anti tumorale spécifique et préexistante des lymphocytes T épuisés. En bloquant certaines protéines interagissant entre eux, les cellules tumorales et des cellules présentatrices d’antigènes. On les appelle des inhibiteurs de point de contrôle immunologique. Cependant les cellules tumorales oculaires ne développent pas de néo antigènes, du fait du taux très faible de mutations et ne peuvent donc pas être reconnues par les cellules immunitaires. On appelle cela le « privilège immunitaire intra oculaire ».


Toutefois, une observation récente aux USA, a fait état d’une régression complète de 30 foyers métastatiques hépatiques entre mai 2020 et février 2022, chez un patient porteur d’un mélanome uvéal de 7 mm traité par radio thérapie et double blocage du point de contrôle immunitaire, et est une immense première. (7) Un autre espoir majeur réside dans l’utilisation du Tebentafusp, nouvel agent redirigeant les lymphocytes vers la protéine mélanocytaire GP100, fortement exprimée dans les cellules de mélanome oculaire et cutané. Son efficacité est réservée aux seuls 45 % de porteurs du groupe antigénique humain leucocytaire A*02 :01. (8)


L’immunothérapie dans le mélanome oculaire métastatique suit une courbe asymptotique depuis 10 ans : au total, 545 articles provenant de 218 revues académiques avec 3266 auteurs de 982 institutions dans 42 pays/régions ont été inclus dans cette étude.


Une association de patients (ANPACO : association nationale des patients atteints de cancer oculaire) a été créée par Mme DELLIS en 2017et regroupe plus de 400 membres. Un des buts est de permettre de transformer l’examen rétinographique actuellement réservé aux seuls diabétiques en un examen accessible à tous publics, en particulier pour un dépistage précoce du mélanome, encore plus justifié en zones de déserts médicaux, et qui soit officiellement pris en charge sur le plan social.


En conclusion le mélanome uvéal classé en tumeur rare, n’est pas surdiagnostiqué. C’est la période verte. Les ophtalmologistes doivent répéter les examens du FO, en dilatant la pupille, dépister les nævi choroïdiens et les surveiller. Attention ! Prédisposition et comportement tumoral paraissent péjorés sur les yeux à iris clairs.


Dans la période violette qui suit son diagnostic, une dissémination hématogène supposée existe, mais nous ne disposons pas encore de biomarqueurs sanguins de micro-métastases. Les tests hépatiques ne sont pas fiables. Une IRM hépatique trimestrielle est requise. Le génotypage tumoral pronostique est soumis à condition d’obtention systématique de matériel tumoral.


Enfin lorsque la métastase hépatique est diagnostiquée, l’immunothérapie avance à grands pas, avec l’espoir de découverte de nouveaux points de blocage immunitaire et ceux fondés sur la protéine mélanocytaire en tant que composant partiel antigénique tumoral. C’est encore la période rouge, mais pour plus très longtemps




BIBLIOGRAPHIE


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3. Chromosome 3 and 8q Aberrations in Uveal Melanoma Show Greater Impact on Survival in Patients with Light Iris versus Dark Iris Color

Annemijn P.A. Wierenga, MD, 1 Niels J. Brouwer, MD, 1 Maria Chiara Gelmi, MD, 1 Robert M. Verdijk, MD, PhD, 2,3 Marc-Henri Stern, MD, PhD, 4 Zeynep Bas, MD, 5 Kabir Malkani, BS, 5 Sjoerd G. van Duinen, MD, PhD, 2 Arupa Ganguly, PhD, 6 Wilma G.M. Kroes, MSc, 7 Marina Marinkovic, MD, 1 Gregorius P.M. Luyten, MD, PhD, 1 Carol L. Shields, MD, 5 Martine J. Jager, MD, PhD

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4. Increased histological tumour pigmentation in Uveal Melanoma is related to eye colour and loss of chromosome 3/BAP1.

Gelmi M.C., Wierenga A.P.A., Kroes W.G.M., van Duinen S.G., Karuntu J.S., Marinkovic M., Bleeker J.C., Luyten G.P.M., Vu T.H.K., Verdijk R.M. & Jager M.J.

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© 2023 Published by Elsevier Inc. on behalf of American Academy of Ophthalmology.


5. Survival, Anatomic and functional Long-term Results in Choroidal and Ciliary Body Melanoma After Ruthenium Brachytherapy (15 Years’ Experience with Beta-rays)

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6. 20-year assessment of metastatic latency and subsequent time to death after proton therapy for uveal melanomas

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(a) Department of Ophthalmology, Croix-Rousse University Hospital, (b) Department of Biostatistics, Hospices Civils de Lyon, (c) Cancer Center Léon Bérard, Lyon, (d) CNRS UMR 5510 Mateis, (e) University of Lyon, (f) Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive, CNRS, UMR 5558, Villeurbanne (g) Biomedical Cyclotron of the Comprehensive Cancer Center Antoine Lacassagne, Nice, and (h) Cancer Center Francois Baclesse/ARCHADE, Caen, France

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7. A Rare Case of Metastatic Uveal Melanoma Responding to Immunotherapy.

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8. Overall Survival Benefit with Tebentafusp in Metastatic Uveal Melanoma.

Paul Nathan, M.D., Ph.D., Jessica C. Hassel, M.D., Piotr Rutkowski, M.D., Ph.D., Jean-Francois Baurain, M.D., Ph.D., Marcus O. Butler, M.D., Max Schlaak, M.D., Ryan J. Sullivan, M.D., Sebastian Ochsenreither, M.D., Reinhard Dummer, M.D., John M. Kirkwood, M.D., Anthony M. Joshua, M.D., Ph.D., Joseph J. Sacco, M.D., Ph.D., Alexander N. Shoushtari, M.D., Marlana Orloff, M.D., Josep M. Piulats, M.D., Ph.D., Mohammed Milhem, M.D., April K.S. Salama, M.D., Brendan Curti, M.D., Lev Demidov, M.D., Lauris Gastaud, M.D., Cornelia Mauch, M.D., Ph.D., Melinda Yushak, M.D., M.P.H., Richard D. Carvajal,M.D., Omid Hamid, M.D., Shaad E. Abdullah, M.D., Chris Holland, M.S., Howard Goodall, M.D., and Sophie Piperno-Neumann, M.D., for the IMCgp100-202 Investigators

N Engl J Med 385;13 September 23, 2021. Downloaded from nejm.org at HOSPICES CIVILS DE LYON on January 27, 2023. For personal use only. No other uses without permission. Copyright © 2021 Massachusetts Medical Society.


9. Oncologie oculaire

Rapport Société Française d’Ophtalmologie 433 p. Laurence Desjardins, Nathalie Cassoux

Ed. Elsevier Masson Paris 2022




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