Je m’appelle Fabienne, j’habite en région parisienne, dans les Yvelines.
J’ai aujourd’hui 50 ans. Mon cancer de l’œil a été détecté en 2019, à l’âge de 47 ans. J’ai les yeux bleus.
En mars 2018, lors du bilan annuel de ma myopie, mon ophtalmologue réalise un fond d’œil car il ne m’en a pas réalisé depuis longtemps ; il découvre un grain de beauté (un naevus) et me prescrit un examen OCT (Tomographie à Cohérence Optique) ; l’examen confirme l’existence d’un naevus sans gravité. L’ophtalmologue m’explique qu’il n’y a rien de grave, qu’il faut cependant surveiller ce naevus en réalisant d’ici un an un nouvel examen ; car dans de très rares cas, celui-ci évolue vers un mélanome. J’’ai alors 46 ans.
A l’époque, je ne repère rien de différent dans ma vision, même si je me plains de ne pas bien voir lorsque les pièces sont mal éclairées. Je suis gênée pour lire. L’ophtalmologue me dit que c’est normal, les personnes avec une forte myopie ressentent souvent cette gêne et me conseille de bien éclairer les pièces. Je ne m’inquiète pas, je commence également à être presbyte.
Un an après, en juin 2019, je fais un second OCT ; je n’obtiens les résultats qu’en septembre 2019 par un courrier de mon ophtalmologue, qui me précise que les clichés indiquent une pigmentation de l’œil droit avec un aspect non homogène et m’adresse chez un autre ophtalmologue qui pourra réaliser une échographie de l’œil.
J’obtiens un rendez-vous courant septembre dans les Haut de Seine. L’échographie et la rétinographie concluent que le naevus est effectivement suspect.
Je suis orientée de suite vers une autre ophtalmologue, pour réaliser une angiographie, dont le cabinet est dans le Val de Marne. Le 2 octobre 2019, ce médecin m’accueille en me disant « Bonjour, je suis ophtalmologue oncologue ». Je comprends que potentiellement ce naevus est malin. Lors de ce premier rendez-vous avec ce docteur (le début d’une longue série, une fois l’angiographie réalisée, elle m’explique la situation :
- Le faisceau d’indices tend à préciser que ce naevus est un mélanome choroïdien : un cancer rare qui touche environ 500 personnes par an,
- Qu’elle va en parler en équipe pluridisciplinaire avec des médecins de Curie/de l’hôpital quinze vingt pour prendre collectivement la décision d’opérer ou de surveiller l’évolution de ce naevus. Elle m’explique que toute décision liée à un cancer est prise ainsi collectivement.
- Que si la décision d’opérer est prise, cela se produirait ainsi :
o Une opération chirurgicale qu’elle réaliserait pour poser les clips à l’hôpital 15/20, clips servant à aider au ciblage des rayons
o Des séances de protonthérapie à Curie, sur le site d’Orsay, Essonne pour bruler la tumeur, au rythme de 4 séances seulement sur quelques jours, avec un arrêt maladie d’un mois
o Des risques inhérents aux rayons, pouvant abimer la rétine et les faisceaux de l’œil
o Une surveillance pendant 10 ans afin de s’assurer que le cancer ne se reproduise plus et surveiller d’éventuelles métastases au foie, lieu prédestiné des « migrations » de ce cancer.
J’ai l’impression que ces informations me sont données à toute vitesse, je suis en état de sidération. Je ne me suis pas préparée à cela et n’ai même pas pris de quoi noter.
L’ophtalmologue me dit qu’elle me rappelle dans une semaine pour me donner les résultats de la réflexion collective.
Je sors du cabinet d’ophtalmologue sonnée. Il est aux environs de midi, c’est une belle journée. Je n’en profite pas ; je suis gênée par les yeux dont les pupilles ont été dilatées. J’appelle mon mari qui est au travail et lui restitue ce que j’en ai compris. J’appelle également ma fille ainée qui doit être bouleversée de m’entendre lui dire tout cela.
Je passe bien sûr de mauvaises nuits, me documentant sur internet des soirées entières, craignant l’opération. Les photos du masque réalisé pour la protonthérapie sont impressionnantes. J’ai peur. Une vidéo trouvée sur le site du Magazine de la santé explique en détail l’opération. Je la visionne plusieurs fois.
La semaine s‘écoule et le médecin ne me rappelle pas ; Je dois relancer plusieurs fois avant d’apprendre qu’elle est en congrès et me recontactera plus tard. Je perçois que nous ne jouons pas dans la même cour : Comme patients, nous sommes suspendus aux informations délivrées par les médecins ; Les médecins exercent leur travail sans percevoir (ou vouloir partager) l’émotion qui nous submerge.
Je suis arrêtée un mois par mon médecin traitant, vivant mal la situation, ne sachant pas ce qui va se passer. Cet arrêt est également lié à une situation de travail difficile. L’incertitude de ce que j’ai à l’œil - on ne parle pas encore de cancer- me fragilise.
Finalement, le médecin m’annonce que le collectif a décidé d’attendre un peu ; la lésion est petite ; de nouveaux cliches sont à réaliser en janvier 2020.
Fin janvier 2020, lors du rendez-vous chez l’ophtalmologue, je lui explique que je vis mal la situation, j’appréhende d’avoir quelque chose à l’œil qui évolue ; j’indique je suis favorable à l’opération. Les derniers clichés (échographie, OCT, angiographie,..) réalisés en janvier confirment que la lésion évolue, avec une croissance lente. La tumeur est mal placée, très proche de la macula. Le diagnostic de mélanome choroïdien est posé ; une demande de prise en charge à 100% des traitements liées à cette maladie est réalisée.
La décision est prise d’opérer , ce sera pour fin mars 2020.
Au travail, je prépare mes équipes et organise la répartition de l’activité pendant mon absence. Je suis prête psychologiquement pour l’opération.
De février à fin mars, s’en suit un série d’examens, à l’hôpital quinze vingt, à Curie : IRM du cerveau, anesthésie, nouveaux clichés,.. Lors d’un examen au 15/20, dans la salle d’attente minuscule, j’ai pu échanger avec d’autres patients ; tous avaient des soucis à l’œil qui me semblent bien plus graves ; je relativise ma situation, au regard de ce que j’entends. Mon cancer est détecté tôt, la tumeur est petite, j’habite près de Paris et peux me rendre seule aux examens, sans devoir envisager de taxi, d’hôtel,
Je trouve sur internet le site Anpaco ; je laisse mes coordonnées.
Mi-mars, le confinement est annoncé suite à la pandémie de covid. Mon opération reste toutefois programmée ; elle est jugée prioritaire, comme tous les suivis de cancérologie. Le 27 mars, mon mari me conduit à l’hôpital ; il ne peut entrer et me laisse à la porte de l’hôpital. Il n’y a quasiment personne dans l’hôpital, habituellement bondé et bruyant. Je suis opérée dans un hôpital étrangement calme et ressors le lendemain avec une coque, un pansement, des gouttes à mettre dans l’œil.
Le confinement, le beau temps et le peu de liberté laissé à chacun pour s’aérer crée un évènement inédit ; tous les voisins sortent à peu près en même temps en fin de journée, pour marcher un peu. Je sors également avec mon œil bandé ! Je suis un peu fatiguée mais sans plus.
J’ai la bonne surprise de recevoir un appel de Mme Dellis, la présidente de l’Anpaco, qui vient prendre de mes nouvelles ! Une très belle surprise, un geste qui me touche beaucoup !
Les séances de préparation à la protonthérapie et les séances elles même sont réalisées mi-avril, une fois l’œil moins tuméfié.
Du fait du confinement, mon fils ainé étudiant est rentré à la maison ; il me conduit aux séances à Orsay, à 30 mn de la maison. Je mesure ma chance !
Je découvre là-bas une équipe extraordinaire : je n’ai jamais connu cela. L’ensemble des personnels est attentionné, aux petits soins. Pandémie oblige, j’ai droit à chaque fois à une série de tests et questions : «Ai-je des symptômes, de la fièvre...» Les séances se déroulent avec calme, on me donne des explications. On me prépare un masque moulé à mon visage, afin que pendant les séances de protonthérapie, je ne bouge pas. On calcule l’emplacement exact du rayonnement à réaliser.
Après les 4 séances de rayons et encore quelques jours de repos, je reprends le travail fin avril.
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Je suis à présent suivie tous les 2/3 mois avec à chaque fois ou presque les même examens ; radio du thorax, radio ou IRM du foie, échographie de l’œil, OCT, angiographie, contrôle de l’acuité visuelle...
Lors d’une séance avec l’ophtalmologue qui m’a opérée, en 2021, je l’interroge sur la probabilité que je développe des métastases au foie ; je n’avais pas perçu que les statistiques, forcément des moyennes, étaient aussi élevées. Selon les sources, entre 50 et 70% de risque de développer ces métastases. Sa réponse brutale me laisse sans voix : « Oui, c’est un cancer. C’est un petit cancer, mais comme tout cancer, il y a un risque de métastase.» Je reçois cette annonce brutalement. Objectivement, je pense que mon cerveau avait mis de côté cette information, ce risque.
Je me suis engagée dans une étude réalisée à l’hôpital 15/20, permettant demain de concevoir des machines captant des milliers de photos à la seconde, examinant encore mieux l’état de la rétine.
Malgré la couverture à 100%, de nombreux frais sont à ma charge : les transports, les jours d’absence à poser pour ces examens, et surtout, les dépassements des médecins, tous libéraux. Ces frais sont importants et pas à la portée de tous. Ces frais devraient être davantage encadrés.
Comme annoncé, les conséquences de la protonthérapie se font sentir :
- J’ai eu plusieurs séances de laser pour bruler des vaisseaux qui se développaient de manière anarchique en 2021 ; ces vaisseaux n’étaient plus irrigués correctement.
- Début juillet 2022 j’ai commencé une série de piqures dans l’œil (les injections intra vitréenne) car la rétine souffrait ; je ressentais une gêne à la vision.
Néanmoins, le médecin est content : mon acuité visuelle n’a pas baissé.
En mars 2023, cela fera 3 ans que j’ai été opérée.
La maladie est un peu rentrée dans mes habitudes de vie, avec en tête toujours la prochaine échéance, le prochain rendez-vous.
L’existence de l’Anpaco a été un soutien, à distance.
Le rôle de la famille est important ; elle reçoit également un coup sur la tête lors de cette annonce ! Sans trop lui en faire porter, partager son ressenti est nécessaire.
Fabienne.
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